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Actualité
21/12/23

Revirement procédural en matière de pratiques restrictives de concurrence

La Cour de cassation opère un revirement concernant la méconnaissance du pouvoir juridictionnel exclusif octroyé à certaines juridictions en matière de pratiques restrictives de concurrence.

En l’espèce, deux sociétés ont conclu un contrat de distribution de matériel et de service. Une fois délivrés, ces matériaux faisaient l’objet en parallèle d’un contrat de location financière conclu entre le distributeur et un bailleur.

Cependant, après avoir constaté de multiples manquements contractuels de la part du fournisseur en raison de sa liquidation judiciaire, le distributeur a cessé de remplir ces obligations financières à l’égard du bailleur.

En conséquence, par application d’une clause attributive de compétence, le bailleur a assigné le distributeur en paiement de diverses sommes devant le Tribunal de commerce de Saint-Etienne.

Après avoir invoqué les dispositions de l’article L.442-6 du code de commerce (version antérieure de l’article L.442-1) relatives aux pratiques restrictives de concurrence, le distributeur argue de l’inapplicabilité de cette clause et revendique l’incompétence du Tribunal de commerce de Saint-Etienne au profit de celui de Marseille.

En effet, conformément à l’article D.442-3 du code de commerce, les contentieux qui concernent ces dispositions sont exclusivement attribués à 16 juridictions de première instance (dont fait partie le tribunal de Marseille) et seule la Cour d’appel de Paris peut en connaître les recours.

Le Tribunal prend acte des moyens de défense invoqués par le distributeur et renvoie l’affaire devant le Tribunal de commerce de Lyon qui est également spécialisé pour statuer sur les moyens de défense fondés sur ces dispositions.

Suite à la décision de la Cour d'appel de Lyon qui a déclaré ses demandes irrecevables par un arrêt infirmatif rendu le 3 décembre 2020 (n°20/01135), le distributeur décide de former un pourvoi devant la Cour de cassation.

1. Rappel de la position antérieure

Dans un arrêt rendu le 18 octobre 2023, la Chambre commerciale économique et financière rappelle la position jurisprudentielle invoquée depuis dix ans au sujet des actions en matière de pratiques restrictives de concurrence.

Ainsi, en vertu d’une jurisprudence constante, que ce soit en première ou en deuxième instance, la partie qui méconnait « le pouvoir juridictionnel exclusif est sanctionné par une fin de non-recevoir » (§10). Même lorsque les décisions de première instance émanent d’une juridiction non spécialisée, cette règle est également appliquée.

En effet, lorsqu’une juridiction de première instance a jugé à tort en dépassant son pouvoir juridictionnel, la Cour d’appel doit relever d’office l’irrecevabilité des demandes pour excès de pouvoir.

Par ailleurs, si les demandes fondées sur ces pratiques doivent être déclarées irrecevables par la juridiction indument saisie, cette dernière peut en revanche « valablement statuer sur les demandes fondées sur le droit commun » (§12).

2. Revirement jurisprudentiel

La Cour relève à raison un défaut d’équivalence terminologique entre l’état de la jurisprudence et les dispositions légales (articles D.442-2 et D.442-3 du code de commerce), puisque ces dernières « se réfèrent à la compétence des juridictions et non à leur pouvoir juridictionnel » (§13).

De surcroît, cette position antérieure est également contraire à l’article 33 du code de procédure civile lequel dispose que :

« La compétence des juridictions en raison de la matière est déterminée par les règles relatives à l'organisation judiciaire et par des dispositions particulières ».

Ainsi, cette situation aboutissait à « des solutions confuses et génératrices pour les parties d’une insécurité juridique quant à la détermination de la juridiction ou de la Cour d’appel pouvant connaître de leurs actions, de leurs prétentions ou de leur recours » (§13).

Par conséquent, dans un but de satisfaire l’objectif de bonne administration de la justice, la Cour de cassation a opéré un revirement radical en instituant désormais une règle de compétence d'attribution exclusive à la place d’une fin de non-recevoir.

3. Application au cas d’espèce

Dorénavant, dans le cas où un défendeur serait mis en cause sur le fondement du droit commun devant une juridiction non spécialisée et qu’il présente une demande reconventionnelle en invoquant l’article L.442-1 du code de commerce. Cette juridiction doit :

  • soit se déclarer incompétente au profit de la juridiction désignée par ce texte et surseoir à statuer dans l’attente que cette juridiction spécialisée ait statué sur la demande,
  • soit renvoyer toute l’affaire devant cette juridiction spécialisée.

Cependant, dans le cadre du présent litige, la Cour de cassation n’aura finalement pas l’occasion d’appliquer ce principe. En effet, en vertu d’une jurisprudence constante, la Cour a considéré que « les textes du code de commerce relatifs aux pratiques restrictives de concurrence ne s'appliquent pas aux activités de location financière » (§23).

Par conséquent, le tribunal de commerce de Saint-Etienne était bien compétent pour statuer sur ce litige dans la mesure où le distributeur « n’était pas fondé à invoquer ces dispositions » (§23).

4. Conséquences de ce revirement

Le fait de déclarer une exception d’incompétence plutôt qu’une fin de non-recevoir a des conséquences (i) sur les délais de recours et de prescription, et (ii) sur l’ordre des moyens de défense.

  • (i) En effet, au titre des articles 2241 et 2243 du code civil, l’effet interruptif de la prescription s’applique en cas de demande annulée pour vice de procédure, mais ne s’applique pas lorsque celle-ci est rejetée à raison d’une fin de non-recevoir.
  • (ii) En vertu de l’article 123 du code de procédure civile, une fin de non-recevoir peut être soulevée à chaque étape de la procédure, contrairement à l’exception de procédure qui, conformément à l’article 74 du même code, doit être soulevée in limine litis, autrement dit, avant toute défense au fond et fin de non-recevoir.

5. Conclusion

Cette solution semble plus cohérente et protectrice pour le demandeur, car ce dernier pourra saisir une juridiction à tort sans se soucier des conséquences de son erreur.

En ce qui concerne le défendeur, celui-ci ne pourra plus omettre de contester la compétence de la juridiction saisie, puisque désormais, le juge n'aura plus l'obligation de se prononcer d'office sur son incompétence en cas de violation d'une règle de compétence d'attribution.

Jean-Christophe ANDRÉ / Ulysse LAUDIERES
Image par Canva
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