Dans ses conclusions, publiées le 5 septembre 2024, l’Avocate générale répond aux questions préjudicielles posées par le Conseil d’État français à la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE ») et donne son interprétation sur l’existence ou non d’une harmonisation des dénominations pour désigner certaines denrées alimentaires au sein de l’Union européenne1.
A l’origine de cette affaire devant la CJUE, plusieurs associations et entreprises du secteur des protéines végétales ont contesté devant le Conseil d’État français, un Décret de 2022 interdisant l’usage de dénominations associées à des produits d’origine animale (telles que "steak", "saucisse" ou "burger") pour désigner des denrées alimentaires à base de protéines végétales.
Elles estiment que ce Décret restreint la liberté d’utilisation des dénominations courantes et entrave la commercialisation de produits de substitution végétale. Elles invoquent le Règlement (UE) n° 1169/2011 relatif à l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires (dit Règlement « INCO ») qui harmonise déjà ces questions à l’échelle européenne, et considèrent que toute intervention nationale supplémentaire serait illégitime et incompatible avec le droit de l'Union européenne.
Dans le cadre de ce recours, le Conseil d’État a suspendu l’application du Décret de 2022 et a renvoyé à la CJUE plusieurs questions préjudicielles, afin de déterminer si cette réglementation nationale est compatible avec les dispositions du Règlement INCO2 :
En février 2024, alors même que la CJUE est saisie, les autorités françaises ont adopté un nouveau Décret n°2024-144, qui abroge le Décret de 2022 tout en maintenant les interdictions initiales concernant l’utilisation des dénominations carnées pour les produits végétaux.
Ce texte introduit toutefois des ajustements afin de clarifier son champ d’application, notamment en exonérant les produits légalement fabriqués ou commercialisés dans d’autres États membres de l’Union européenne ou dans un pays tiers.
Ce nouveau décret a également fait l’objet d’un recours devant le Conseil d’État qui l’a suspendu par une décision en date du 10 avril 2024[3] en attente d’une décision de la CJUE.
Pour l’Avocate générale, l’enjeu de cette affaire est de déterminer « si le droit de l’Union régit déjà la question de savoir si les dénominations associées à la viande peuvent ou non être utilisées pour des denrées alimentaires d’origine végétale » (§27 des conclusions). En effet, dans le cas où le Règlement INCO régirait cette question, la France n’aurait alors plus le droit de mettre en place des règles nationales car la matière a été déjà harmonisée (§23 des conclusions et article 38 du Règlement INCO).
Sur la première question, au terme de son analyse, elle considère que (i) le Règlement INCO interdit aux États membres de fixer, en édictant des dispositions générales, des dénominations qui induisent en erreur les consommateurs ; (ii) mais que celui-ci n’interdit pas de prévoir des dénominations légales pour certaines denrées alimentaires en adoptant des dispositions générales, dans la mesure où ces dénominations légales ne sont pas prévues par le droit de l’Union comme c’est le cas en l’espèce pour les dénominations carnées (cf. §98 des conclusions notamment).
Elle complète son argumentation concernant la deuxième question sur les produits de substitution, en indiquant que les dispositions pertinentes du Règlement INCO (annexe VI et l’article 17) n’harmonisent pas expressément l’utilisation des dénominations des produits de substitution. Les États membres ont donc la possibilité de prévoir des dénominations légales, en les réservant à des denrées alimentaires spécifiques.
En réponse à la quatrième question, elle invoque le fait que les dispositions du Règlement INCO ne font pas obstacle à ce que les États membres édictent des mesures applicables uniquement à des situations purement internes.
En effet, les dispositions du Décret (dans sa version 2024) n’auront vocation à s’appliquer qu’aux produits fabriqués en France et destinés au marché français, de sorte que la liberté de circulation des marchandises n’aurait pas à s’appliquer : il s’agirait d’une situation purement interne. Ce qui est par ailleurs réfuté par certaines Parties (§ 105 et suivants des conclusions).
C’est pourquoi, l’Avocate générale considère que les articles 9 et 17 du Règlement ne s’opposent pas à ce que les États membres édictent une mesure nationale déterminant des taux de protéines végétales en deçà desquels l’utilisation de dénominations désignant des denrées alimentaires d’origine animale est permise pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires contenant des protéines végétales. Car pour elle, en fixant ces taux, les États membres établissent effectivement des dénominations légales.
Enfin, à titre subsidiaire, s’agissant de la troisième question, l’Avocate générale indique que le Règlement INCO ne fait pas obstacle à ce que les États membres adoptent des sanctions administratives en cas de manquement à ses dispositions.
Les conclusions de l'Avocate générale ne lient pas la CJUE mais si celle-ci venait à les suivre, cela signifierait que la France pourrait maintenir cette règlementation et donc l’interdiction de l’utilisation des dénominations associées aux produits d’origine animale pour des denrées alimentaires à base de protéines végétales sur son territoire.
Cette décision est très attendue car d’autres États membres, comme l’Italie, la Pologne et la Roumanie, ont adopté ou envisagent d’adopter des règlementations similaires, interdisant l’utilisation de dénominations associées à la viande pour des denrées alimentaires d’origine végétale (cf. 21 des conclusions).
1 Concl. av. gén. Ćapeta, 5 sept. 2024, n° C‑438/23, Protéines France e.a., ECLI:EU:C:2024:704
2 CJUE, 13 juillet 2023, Association Protéines France et Autres c/ Ministre de l’Économie, C‑438/23.
3 Conseil d’Etat, Juge des référés, 10/04/2024, 492844.