


Par décision du 12 décembre 20251, la Deuxième Chambre de recours de l’EUIPO a rendu une décision particulièrement significative pour les titulaires de marques de luxe confrontés à des dépôts opérés dans des secteurs adjacents tels que la finance, la technologie ou les services numériques. À l’occasion d’un recours formé par LVMH Fragrance Brands, la Chambre de recours a jugé que le logo figuratif “4G” associé à la Maison GIVENCHY bénéficie d’une réputation élevée au sein de l’Union européenne, au moins pour les parfums, et a appliqué l’article 8, paragraphe 5 du Règlement sur la marque de l’Union européenne (EUTMR) afin de refuser la protection, dans l’Union européenne, d’un signe figuratif proche visant notamment des services financiers d’investissement dans des “actifs de luxe”.
Au-delà du cas d’espèce, cette décision illustre avec une grande clarté la logique de protection renforcée des marques renommées : dès lors qu’un lien peut être établi dans l’esprit du public entre les signes, l’EUIPO est fondé à faire obstacle à des dépôts portant sur des produits ou services éloignés, en sanctionnant notamment les situations de parasitisme économique (free-riding).
Le litige trouve son origine dans la désignation de l’Union européenne par un enregistrement international portant sur un signe figuratif, visant notamment :
LVMH Fragrance Brands a formé opposition en se fondant, d’une part, sur l’article 8, paragraphe 1, point b EUTMR (risque de confusion) et, d’autre part, sur l’article 8, paragraphe 5 EUTMR (atteinte à une marque jouissant d’une réputation), à partir notamment de la marque figurative de l’Union européenne correspondant au logo “4G” de GIVENCHY.
En première instance, la division d’opposition avait partiellement accueilli l’opposition pour certains produits, mais l’avait rejetée pour les services financiers de la classe 36, estimant notamment que ceux-ci étaient dissemblables aux produits et services couverts par les droits antérieurs et que la réputation du signe figuratif n’était pas suffisamment établie. Le recours portait précisément sur ce point : l’extension de la protection conférée par l’article 8, paragraphe 5 EUTMR aux services financiers litigieux.
La Chambre de recours rappelle que la réputation, au sens de l’article 8, paragraphe 5 EUTMR, s’apprécie au regard d’un faisceau d’indices convergents, tenant notamment à la durée et à l’intensité de l’usage, à l’étendue géographique, à l’importance des investissements promotionnels et à la reconnaissance du signe par le public pertinent.
Sur le plan procédural, elle admet des éléments de preuve produits pour la première fois au stade du recours, dès lors qu’ils complètent utilement le dossier et répondent aux insuffisances relevées en première instance, notamment s’agissant de la reconnaissance par des sources indépendantes et de la portée quantitative des campagnes publicitaires.
Au fond, la Chambre de recours retient que le dispositif figuratif “4G” jouit d’une réputation élevée dans l’Union européenne, au moins pour les parfums. Elle souligne en particulier :
La Chambre relève enfin que le public est exposé au dispositif figuratif de manière systématique, aux côtés du signe verbal GIVENCHY, de sorte que la réputation attachée à la Maison se projette naturellement sur cette signature visuelle.
Après avoir constaté une similarité visuelle élevée entre les signes, tous deux purement figuratifs et fondés sur un agencement géométrique comparable, la Chambre de recours applique la grille d’analyse issue de la jurisprudence européenne relative à l’établissement d’un « lien » dans l’esprit du public.
Elle accorde une importance déterminante à la définition même des services contestés, lesquels sont expressément orientés vers l’investissement dans des « actifs de luxe » et reposent sur des partenariats avec des marques. Cette caractéristique sectorielle agit comme un facteur de rapprochement : l’investissement dans le luxe suppose nécessairement une attention particulière portée à la valeur et à la réputation des marques, lesquelles constituent un élément central de la valorisation des actifs concernés.
Dans ce contexte, la Chambre estime que le public pertinent – investisseurs et consommateurs avertis, sensibles à l’univers du luxe – est particulièrement susceptible d’établir un rapprochement mental entre un signe très proche d’un emblème de Maison de luxe et des services financiers explicitement positionnés sur ce secteur. L’existence d’un lien, au sens de l’article 8, paragraphe 5 EUTMR, est ainsi caractérisée.
La Chambre de recours concentre son analyse sur le risque d’avantage indu, l’un des trois chefs d’atteinte visés par l’article 8, paragraphe 5 EUTMR. Elle considère que l’adoption d’un signe très proche du logo “4G” pour des services d’investissement dans des actifs de luxe est de nature à permettre un transfert d’image : prestige, confiance, exclusivité et stabilité, valeurs construites par la Maison GIVENCHY au terme d’investissements considérables.
Un tel transfert confère au déposant un avantage concurrentiel injustifié, en facilitant la commercialisation de ses services sans qu’il ait à supporter les efforts économiques et promotionnels nécessaires à la construction d’une réputation comparable. La Chambre relève en outre que le titulaire du signe contesté n’a ni contesté utilement cette analyse ni établi l’existence d’une juste cause susceptible de neutraliser l’atteinte alléguée.
Constatant que l’ensemble des conditions cumulatives de l’article 8, paragraphe 5 EUTMR sont réunies (réputation, similarité des signes, lien, risque d’avantage indu, absence de juste cause), la Chambre de recours annule la décision de première instance sur ce point et refuse la protection du signe contesté pour les services financiers de la classe 36.
Conclusion
Par cette décision, l’EUIPO confirme avec force que les signes iconiques des maisons de luxe bénéficient d’une protection étendue, y compris face à des usages situés à la frontière entre finance, technologie et investissement. Lorsque des services sont explicitement rattachés à l’univers du luxe, la proximité avec des emblèmes renommés est susceptible de faciliter l’établissement d’un lien et de caractériser un parasitisme prohibé par le droit des marques de l’Union européenne.
Pour les opérateurs économiques, cette décision constitue un rappel clair : tout projet d’investissement ou de valorisation d’actifs fondé sur l’univers du luxe doit intégrer, dès sa conception, une analyse rigoureuse des risques de réputation et d’atteinte indirecte aux marques renommées.
1 EUIPO, Deuxième Chambre de recours, 12 décembre 2025, R 1568/2024-2

