Une entente sur les prix peut produire des effets dits « d’ombrelle sur les prix » lorsque des entreprises non parties à cette entente fixent, délibérément ou non, dans le sillage des agissements des participants à cette entente, leurs propres prix à un niveau plus élevé (prix de protection) que celui qui aurait résulté de conditions de concurrence non faussés.
La question qui était soumise à la CJUE était de savoir si le droit de l’Union européenne autorise les clients des entreprises étrangères à une entente à solliciter auprès des juridictions nationales la condamnation des membres de l’entente à les indemniser de ces effets d’ombrelle sur les prix.
Cette question a été posée dans le contexte du cartel des fabricants d’ascenseurs sanctionné par la Commission européenne en 2007. La société autrichienne ÖBB, filiale de la société des chemins de fer autrichiens, prétendait avoir acheté auprès de fabricants tiers à ce cartel des ascenseurs et escaliers mécaniques à des prix surévalués en raison de ce cartel.
1. Dans son arrêt du 5 juin 2014 (affaire C-557/12), la CJUE rappelle que toute personne est en droit de demander réparation du préjudice subi lorsqu’il existe un lien de causalité entre ledit préjudice et une entente interdite par l’article 101 TFUE.
En effet, le droit de toute personne de demander réparation d’un tel dommage « renforce le caractère opérationnel des règles de concurrence de l’Union et est de nature à décourager les accords ou pratiques, souvent dissimulés, susceptibles de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, en contribuant ainsi au maintien d’une concurrence effective dans l’Union européenne« .
2. Par ailleurs, la Cour souligne que les membres d’une entente sur les prix ne peuvent ignorer les effets d’ombrelle sur les prix susceptibles d’être subis par les clients de leurs concurrents non parties à l’entente.
En effet, le « prix du marché » est l’un des principaux éléments pris en compte par une entreprise lorsqu’elle détermine le prix de vente de ses propres produits ou ses services.
Ainsi, lorsque les participants à une entente parviennent à maintenir un prix artificiellement élevé pour leurs produits ou services et que certaines conditions de marché sont réunies, leurs concurrents extérieurs à l’entente sont susceptibles d’augmenter leurs prix pour les adapter au prix du marché résultant de l’entente.
Il en va particulièrement ainsi lorsque :
Selon la CJUE, dans un tel contexte, bien que la fixation d’un prix de protection résulte de décisions purement autonomes des entreprises ne participant pas à l’entente, ces décisions sont susceptibles d’avoir été prises par référence à un prix du marché faussé par cette entente.
Or, la pleine effectivité de l’article 101 TFUE serait remise en cause si le droit des entreprises ayant subi l’application du prix de protection de demander réparation de leur préjudice était exclu en raison du fait que ces dernières ont eu des liens contractuels non pas avec un membre de l’entente, mais avec une entreprise tierce dont les prix supraconcurrentiels sont pourtant une conséquence de l’entente ayant contribué à fausser les mécanismes de formation des prix régissant des marchés concurrentiels.
3. En définitive, la Cour conclut que « la victime d’un prix de protection (« umbrella pricing ») peut obtenir la réparation du dommage subi par les membres d’une entente, quand bien même elle n’aurait pas eu de liens contractuels avec ceux-ci, dès lors qu’il est établi que cette entente était, selon les circonstances de l’espèce et, notamment, les spécificités du marché concerné, susceptible d’avoir pour conséquence l’application d’un prix de protection par des tiers agissant de manière autonome, et que ces circonstances et spécificités ne pouvaient être ignorées par les membres de ladite entente« .
Cette solution va dans le sens du droit à la réparation intégrale consacré par l’article 2 de la proposition de directive visant à harmoniser partiellement les législations des Etats membres en matière d’actions en indemnisation du préjudice résultant de pratiques anticoncurrentielles, laquelle a été adoptée par le Parlement européen le 17 avril 2014.
Il restera aux entreprises sollicitant une indemnisation au titre d’effets d’ombrelle sur les prix à bien caractériser le lien de causalité entre l’entente et le surprix invoqué et à évaluer au mieux le montant de ce surprix, au besoin avec l’aide d’économistes.