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Actualité
19/9/24

La Commission européenne pointe les lacunes du système de contrôle français relatif aux eaux conditionnées

Les eaux minérales naturelles et les eaux de source, appelées de manière générique les « eaux conditionnées », sont des eaux destinées à la consommation humaine qui ne doivent faire l’objet que d’un nombre restreint de traitements (article 4 de la directive 2009/54/CE). 

En 2020, suite au signalement d’un salarié du groupe Alma (qui détient la marque « Cristalline ») le Service national d’enquêtes de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) a mené des investigations. Celles-ci ont mis à jour un certain nombre de manquements à la réglementation, notamment en matière de traitement des eaux conditionnées. 

Dans la foulée de ces investigations, le groupe Nestlé Waters a révélé lui-aussi avoir recours à des pratiques de traitement non conformes à la règlementation. 

Face à ces constatations, les ministères compétents (économie et santé), ont décidé de saisir l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS). Le rapport IGAS n°2021-108R de juillet 2022 qui en a découlé, a permis d’établir que près de 30% des eaux conditionnées en France faisaient l’objet de traitements non conformes à la réglementation.

Ce rapport n’a été mis à la disposition du grand public et de la DGCCRF qu’à la suite de révélations de plusieurs médias, en janvier 2024. Ceux-ci ont révélé que certains groupes industriels avaient recours à des techniques illégales de purification de l’eau conditionnée, parfois depuis plusieurs années, et que les autorités françaises étaient au courant de ces pratiques illicites.

Entre le 11 et le 22 mars 2024, la Direction générale de la santé et de la sécurité alimentaire de la Commission européenne (ci-après « DG Santé ») a mené l’audit n°2024-8144 afin de prendre connaissance de la situation, des mesures prises par les autorités françaises et d’évaluer le système français de contrôle officiel relatif aux eaux conditionnées. Le 24 juillet 2024, la DG Santé a publié le rapport final de l’audit n°2024-8144, dans lequel elle met en évidence les lacunes de ce système. 

1. Le manque de coopération interne des autorités françaises

Dans ce rapport final, la DG Santé retient un manque de collaboration entre et au sein même des autorités compétentes françaises, tant au niveau central que local. Par exemple, elle relève que si le rapport de l’IGAS n°2021-108R a été remis aux ministres de l’économie, de la santé et de l’industrie en juillet 2022, la DGCCRF n’en a pas eu connaissance avant sa mise à disposition au public en février 2024. Le manque de coopération est d’autant plus flagrant que la DGCCRF dépend du ministère de l’économie.

De plus, le rapport établit que la DGCCRF et la Direction Générale de la Santé (DGS), n’ont pas réussi à mettre en place d’actions coordonnées pour mettre fin aux pratiques illicites dans les usines de traitement, que ce soit au niveau central ou local.

D’après la DG Santé, ce manque de coopération aurait un impact sur l’efficacité du système de contrôle français. Les autorités françaises, conscientes de cet état de fait, sont actuellement en train d’élaborer un protocole de coopération tripartite DGCCRF/DGS/Direction Générale de l’Alimentation (DGAL). Ce protocole précisera les rôles et responsabilités de ces trois autorités et la façon dont elles interagiront entre elles afin de garantir une meilleure coordination au niveau local et national.

De plus, le décret 2022-840 du 1er juin 2022 a créé, au 1er janvier 2024, une « police unique » chargée des contrôles alimentaires. A ce titre, les missions de sécurité sanitaire des aliments précédemment poursuivies par la DGCCRF ont été transférées à la DGAL. Les missions de la DGS, quant à elles, restent circonscrites à la gestion de la qualité sanitaire des eaux destinées à la consommation humaine. Enfin, certaines inspections en matière de sécurité sanitaire des aliments seront partiellement déléguées à des organismes publics ou privés dans les établissements effectuant de la remise directe au consommateur (restauration, métiers de bouche, …). 

En réduisant le nombre d’autorités amenées à effectuer des contrôles, l’objectif est de faciliter la coopération entre les autorités restantes (DGAL et DGS) et d’augmenter le nombre de contrôles de 10%, dès 2024, dans les entreprises de fabrication alimentaire.

2. Des inspecteurs trop peu nombreux et insuffisamment formés

Le rapport retient que l’expérience et l’expertise limitées des inspecteurs des autorités compétentes dans certains aspects des contrôles, couplée à une insuffisance de personnel, limite l’efficacité du système français de contrôle relatif aux eaux conditionnées. 

D’un côté, la DG Santé retient  que la DGS et la DGCCRF ne disposent chacune que d’environ 10 inspecteurs à temps plein habilités à réaliser des contrôles officiels en matière d’eaux contaminées. D’un autre côté, elle observe que ces inspecteurs doivent contrôler plus d’une centaine de sites rien que dans le secteur des eaux conditionnées, secteur qui ne représente qu’une infime partie de leur travail. C’est donc sans surprise que le rapport retient que les contrôles officiels ne sont effectués ni régulièrement, ni à une fréquence prédéfinie à l’avance, comme le prévoit pourtant l’article 9 du règlement (UE) 2017/625. 

De plus, le rapport établit que les inspecteurs de la DGS, s’ils ont reçu une formation de base sur l’hygiène alimentaire, n’ont pas reçu de formation spécifique en matière d’eaux conditionnées. Les inspecteurs ne disposent en effet que d’une expertise et d’une expérience limitées en la matière. C’est ce qui pourrait expliquer, en partie, l’inefficacité du système français de contrôle officiel des eaux conditionnées.

3. L’inefficacité du système français de contrôle officiel des eaux conditionnées

La DG Santé retient que le système de contrôle officiel en place en France n'est conçu ni pour détecter, ni pour atténuer la fraude dans le secteur des eaux conditionnées. Elle établit ainsi que les contrôles menés par les autorités compétentes ne permettent pas d’identifier et de rectifier les risques potentiels pour la santé. 

En effet, les contrôles se limitent principalement à des analyses de l’eau et à des prises de note des discussions avec les acteurs contrôlés, plutôt qu’à des vérifications physiques de l’état réel des sites. 

Le système de contrôle officiel n'est pas non plus correctement appliqué, ce qui rend possible la présence sur le marché de produits non conformes et potentiellement frauduleux. C’est pourquoi, bien que des traitements illicites aient été mis à jour par les autorités, des produits non conformes ont continué à être mis en vente sur le marché.

4. L’absence de mesures de suivi immédiates suite à la découverte de la non-conformité des eaux conditionnées 

Le rapport observe que les autorités compétentes avaient identifié que des produits non conformes à la réglementation de l’Union européenne étaient mis en vente sur le marché, mais qu’elles n’ont pas pris les mesures nécessaires pour :

  • Éviter la mise sur le marché d’eaux minérales naturelles qui ne remplissent pas les conditions requises pour être considérées comme telles ;
  • Ordonner le rappel des produits incorrectement étiquetés qui ont été mis sur le marché ;
  • Informer les consommateurs de la non-conformité des produits.

Si le respect des étapes du contradictoire et l’absence de risque sanitaire avéré pourraient expliquer le délai entre la connaissance de l’infraction par les autorités compétentes et le retrait des produits non conformes à la législation de l’Union européenne (annexe 2 du rapport), cela n’explique pas l’absence de coopération avec les autorités des autres Etats membres de l’Union. 

À cet égard, le rapport rappelle que la DGAL et la DGCCRF sont des points de contact du Réseau d’Alerte Rapide de l’Union Européenne pour les Alertes Alimentaires (RASFF) et du Réseau Européen de Lutte contre la Fraude Agroalimentaire. En tant que telles, elles auraient dû informer immédiatement les autres membres du réseau du risque lié à la non-conformité du traitement des eaux conditionnées avec la législation européenne (article 50 du règlement (CE) n°178/2002). Cependant, les autorités françaises n’ont émis aucune alerte concernant des traitements illicites relatifs aux eaux conditionnées. 

Au surplus, le 13 février 2024, un autre Etat membre de l’Union européenne a émis une requête officielle pour savoir si des eaux conditionnées non conformes à la réglementation européenne avaient été mises sur le marché dans d’autres Etats membres. Mais cette demande est restée sans réponse de la part des autorités françaises.

La DG Santé retient donc que les autorités compétentes françaises n’ont pas respecté leurs obligations de coopération et d’assistance avec les autorités des autres Etats membres dans le cadre des réseaux d’alerte sanitaires précités.

5. Les recommandations formulées par la Commission

En guise de conclusion de son rapport, la DG Santé liste des recommandations qui permettraient d’améliorer le système français de contrôle officiel relatif aux eaux conditionnées. 

Elle recommande notamment aux autorités françaises de réaliser des contrôles réguliers de l’état réel des sites, à des fréquences appropriées et sans notification préalable, conformément à l’article 9 du règlement (UE) 2017/625.

Elle recommande également de veiller à ce que les autorités compétentes disposent des ressources humaines adéquates afin de garantir la régularité des contrôles. De plus, elles devraient s’assurer que leurs agents disposent de la formation et des moyens techniques nécessaires afin de garantir l’efficacité des contrôles officiels, conformément à l’article 5, paragraphe 1, points e) et f), et paragraphe 4, du règlement (UE) 2017/625. 

Lorsque des manquements sont constatés, la DG Santé recommande aux autorités compétentes de prendre les mesures nécessaires pour que l’exploitant concerné remédie au manquement et que celui-ci ne se répète pas, comme l’exigent les articles 137 et 138 du règlement (UE) 2017/625. 

Enfin, les autorités de contrôles se doivent de coopérer effectivement et efficacement, tant au niveau local et central (conformément aux articles 4(2)(a) et 5(5) du Règlement (UE) 2017/625), qu’au niveau européen (conformément à l’article 104(1) du règlement (UE) 2017/625). 

Jean-Christophe ANDRÉ / Julien DUMILIEU
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