Par un jugement du 26 septembre 2025, le Tribunal judiciaire de Paris (3e chambre, 2e section) a condamné plusieurs sociétés pour la contrefaçon de modèles et de marques de la maison Christian Dior Couture, à la suite de la commercialisation de sneakers reproduisant quasi servilement plusieurs modèles iconiques de la marque.
Cette décision, juridiquement solide, illustre à la fois la rigueur du contrôle exercé par les juridictions parisiennes en matière de propriété intellectuelle et les limites persistantes du système indemnitaire français dans la réparation des atteintes immatérielles.
La société Christian Dior Couture reprochait à la société Clarosa, exploitant un site de vente en ligne, ainsi qu’à ses fournisseurs Gowin, Ewany Shoes et Bello Star, d’avoir reproduit plusieurs de ses créations : les sneakers Dior-ID, Walk’n’Dior montant, B27 Mid et les mules D-Way.
Après plusieurs constats et une saisie-contrefaçon, Dior a assigné les défenderesses pour contrefaçon de droit d’auteur, atteinte à des modèles de l’Union européenne, contrefaçon de marque et parasitisme.
Le tribunal valide d’abord la régularité des constats contestés par les défenderesses, rappelant la jurisprudence récente de la Cour de cassation (Ch. mixte, 12 mai 2025, n° 22-20.739) selon laquelle le défaut d’indépendance du tiers acheteur n’affecte pas la validité d’un constat, sauf altération démontrée de sa valeur probante.
Sur le fond, le tribunal reconnaît l’originalité de deux modèles :
Ces deux modèles sont jugés protégés par le droit d’auteur et leurs reproductions par Clarosa et Gowin constituent des actes de contrefaçon.
En revanche, la B27 Mid n’est pas considérée comme originale, ses éléments étant issus du fond commun des sneakers montantes.
Le tribunal retient également la contrefaçon du modèle de l’Union européenne enregistré n° 008058895-0001 relatif à la Dior-ID, en raison d’une reproduction produisant sur l’utilisateur averti une impression d’ensemble identique.
La B27 Mid, protégée comme modèle non enregistré, ne bénéficie en revanche d’aucune protection, des différences esthétiques étant jugées suffisantes pour écarter la contrefaçon.
En outre, la contrefaçon de la marque Dior est retenue : une basket bleue reproduisait le motif « Dior oblique », créant un risque manifeste de confusion.
Enfin, un acte de parasitisme est caractérisé à l’encontre de Clarosa, qui avait diffusé sur ses réseaux sociaux des visuels mettant en scène ses produits aux côtés d’un sac Dior, afin de tirer profit de la notoriété du signe.
Pour l’ensemble des atteintes reconnues, le tribunal condamne la société Gowin à verser à Christian Dior Couture la somme de 4 000 € de dommages-intérêts, assortie d’une indemnité équivalente au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et d’une astreinte de 500 € par infraction constatée.
Ces montants tiennent compte du volume limité de ventes prouvé (84 paires à 8 € l’unité) et du faible impact économique direct des contrefaçons, tout en sanctionnant la banalisation d’une création originale.
Cette approche, conforme aux articles L. 331-1-3 et L. 521-7 du Code de la propriété intellectuelle, traduit une rigueur probatoire : faute de données comptables ou économiques précises, le juge ne peut qu’allouer une réparation modérée.
On peut toutefois s’interroger sur le caractère véritablement dissuasif de condamnations aussi faibles, dans un secteur où la valeur d’une création repose largement sur son image, son exclusivité et son pouvoir symbolique.
La décision Christian Dior Couture c/ Clarosa s’inscrit dans la continuité des jugements rendus par le Tribunal judiciaire de Paris en matière de mode et de luxe (Hermès c/ Meermin, 19 mai 2023 ; Chanel c/ Jonak, 25 janvier 2024).
Elle confirme la cohérence du système français dans la reconnaissance des droits sur les créations esthétiques, tout en soulignant les limites d’un régime indemnitaire fondé sur la stricte preuve du dommage.
L’affaire pose ainsi une question de politique juridique : comment garantir l’effet dissuasif des décisions sans pour autant introduire de dommages-intérêts punitifs ?
La réflexion reste ouverte, à l’heure où la création constitue un actif économique et culturel majeur des maisons de mode françaises.