La chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu le 15 octobre 2025 un arrêt de principe particulièrement clair sur la frontière entre la liberté de communication des titulaires de droits et le risque de dénigrement lorsque ceux-ci alertent des tiers sur une prétendue contrefaçon.
La société Koshi, titulaire de droits d’auteur sur des carillons à vent, avait obtenu en septembre 2022 une ordonnance de saisie-contrefaçon au préjudice de la société Manufacture du Marronnier, qui confiait la fabrication et la distribution de ses produits à la société VBV International.
Quelques semaines plus tard, Koshi avait adressé une lettre de mise en demeure à plusieurs distributeurs des sociétés concurrentes, leur demandant de cesser la commercialisation des carillons litigieux et de lui communiquer les documents contractuels afférents, en invoquant une possible contrefaçon et des actes de concurrence déloyale ou parasitaire.
S’estimant victimes d’un dénigrement de leurs produits, les sociétés Manufacture du Marronnier et VBV International ont assigné la société Koshi en référé pour voir ordonner la cessation du trouble manifestement illicite et obtenir une provision à titre de dommages et intérêts.
La cour d’appel de Montpellier (9 novembre 2023) avait rejeté la demande, jugeant que l’auteur d’une mise en demeure n’a pas besoin d’une décision judiciaire préalable pour informer des tiers de possibles atteintes à ses droits, dès lors que ses propos ne sont ni mensongers ni malveillants, qu’ils reposent sur une base factuelle suffisante et sont exprimés avec mesure.
Selon cette analyse, la lettre adressée par Koshi aux distributeurs ne comportait aucune menace excessive et se bornait à préserver les droits de son auteur.
La Cour de cassation adopte une position inverse et ferme :
« En l’absence de décision de justice retenant l’existence d’actes de contrefaçon de droits d’auteur, le seul fait d’informer des tiers d’une possible contrefaçon de ces droits est constitutif d’un dénigrement des produits argués de contrefaçon » (art. 1240 du code civil).
Autrement dit, prévenir des distributeurs ou des clients d’un concurrent d’un risque de contrefaçon, avant toute décision judiciaire, revient à jeter le discrédit sur ses produits.
La Cour casse donc partiellement l’arrêt de la cour d’appel de Montpellier, sur ce fondement, et renvoie l’affaire devant la cour d’appel de Nîmes.
Cette décision confirme une jurisprudence constante, mais rarement affirmée avec autant de netteté, sur le risque de dénigrement attaché aux mises en demeure adressées à des tiers avant jugement.
Elle rappelle que :
L’affaire illustre ainsi l’importance, pour les titulaires de droits, de faire encadrer leur stratégie précontentieuse afin d’éviter que leurs actions de protection ne se retournent contre eux sous la forme d’une action en responsabilité pour dénigrement.