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Actualité
14/11/25

Le célèbre horloger suisse Richard Mille obtient l’invalidation totale d’un dépôt de marque frauduleux

Par un arrêt rendu le 29 octobre 2025, la cour d’appel de Paris (Pôle 5 - Chambre 1), statuant sur renvoi après cassation, a déclaré entièrement invalide une marque française déposée en 2019 par M. [M], composée du signe strictement identique « Richard Mille ». Cette décision constitue une illustration remarquable de la manière dont les juridictions françaises appréhendent les dépôts spéculatifs visant des marques de très grande renommée, et réaffirme la portée structurante du principe fraus omnia corrumpit en droit des marques.

L’affaire oppose la société suisse Turlen Holding SA, agissant pour le compte de la prestigieuse maison horlogère Richard Mille, à un particulier ayant déposé le même signe pour une liste d’une ampleur inhabituelle de produits et services, allant des machines-outils aux télécommunications, des véhicules à l’informatique, sans aucun lien avec l’horlogerie. Depuis sa création au début des années 2000, Richard Mille s’est imposée comme une référence incontournable de la haute horlogerie suisse : montres d’une sophistication technique extrême, recours à des matériaux issus de l’aéronautique, design futuriste, séries ultra-limitées, collaborations avec Ferrari en Formule 1, sportifs de haut niveau et artistes internationaux. La marque bénéficie d’une renommée internationale exceptionnelle, pleinement reconnue par la Cour.

Une procédure alimentée par la réputation hors norme de Richard Mille

L’origine du litige remonte au 2 novembre 2019, date à laquelle M. [M] dépose la marque verbale « Richard Mille » pour un éventail extrêmement large de produits et services. La société Turlen demande alors à l’INPI de déclarer la marque invalide, estimant que ce dépôt porte atteinte à la renommée de ses marques antérieures. L’INPI accueille partiellement cette demande : l’Office reconnaît la réputation de Richard Mille mais refuse d’invalider la marque pour l’ensemble des produits et services visés.

La cour d’appel rejette dans un premier temps le recours de Turlen en 2022. La Cour de cassation casse cet arrêt le 31 janvier 2024, reprochant aux juges du fond de ne pas avoir examiné l’ensemble des arguments relatifs à la renommée et, surtout, d’avoir insuffisamment analysé la question de la fraude. L’affaire est renvoyée, conduisant à l’arrêt commenté du 29 octobre 2025.

Une renommée pleinement reconnue, mais insuffisante à elle seule pour invalider la marque dans sa totalité

Sur renvoi, la cour d’appel confirme sans ambiguïté que la marque Richard Mille jouit d’une renommée exceptionnelle sur tout le territoire de l’Union européenne pour les produits d’horlogerie et instruments chronométriques. Les éléments versés aux débats, partenariats avec Ferrari en Formule 1, collaborations avec des chefs étoilés et artistes contemporains, forte présence médiatique, classement constant parmi les marques horlogères les plus influentes, chiffre d’affaires de 1,5 milliard d’euros en 2023, témoignent d’une intensité de renommée rare.

Toutefois, la Cour rappelle que, conformément à la jurisprudence Intel, même une renommée d’une grande intensité ne suffit pas à invalider automatiquement tout dépôt identique portant sur des produits ou services éloignés. Encore faut-il établir un lien dans l’esprit du public. Après un examen minutieux, la Cour considère que ce lien n’existe pas pour certains produits et services trop éloignés de l’univers horloger (machines à coudre, électroménager, machines agricoles, ascenseurs, services d’agences de presse, audits énergétiques, décoration intérieure, etc.). Sur ce point, la décision partielle de l’INPI est donc confirmée.

La fraude : le cœur de la décision et le véritable fondement de l’invalidation totale

C’est sur le terrain de la fraude que l’arrêt acquiert toute sa portée.

La Cour rappelle que, même avant la réforme de 2019, la fraude pouvait justifier la déclaration d’invalidité d’une marque lorsque le dépôt avait été réalisé dans le but de priver un tiers d’un signe nécessaire à son activité ou d’obtenir un monopole pour des finalités étrangères à la fonction essentielle de la marque. La jurisprudence européenne, notamment les arrêts Koton et SkyKick, a encore renforcé cette approche en considérant que l’absence d’intention d’usage, combinée à une stratégie d’appropriation excessive, peut caractériser la mauvaise foi.

En l’espèce, la Cour identifie plusieurs indices concordants révélant le caractère frauduleux du dépôt de 2019.

Au moment du dépôt, M. [M] ne pouvait ignorer la réputation considérable de Richard Mille, compte tenu de la très forte couverture médiatique de la marque et de sa présence dans des secteurs proches de l’activité que lui-même déclarait exercer. La Cour insiste notamment sur le partenariat noué en 2018 entre Richard Mille et Airbus Corporate pour une édition limitée inspirée du design aéronautique, domaine dans lequel le déposant affirmait travailler.

La Cour relève également que M. [M] avait déjà procédé à de nombreux dépôts de marques identiques ou quasi identiques à des marques mondialement connues (UNIVERSAL, ADIDAS, YEEZY, GOOGLE CAR), sans jamais les exploiter. Ce comportement évoque clairement une stratégie de « serial squatter ».

Enfin, peu après une première décision favorable obtenue en 2022, M. [M] contacte Turlen Holding pour proposer un « arrangement amiable », en se prévalant expressément de la décision rendue. Pour la Cour, cette démarche révèle une volonté manifeste de tirer un avantage financier indu de la procédure.

Ces éléments attestent d’un projet cohérent d’appropriation parasitaire, dépourvu d’intention d’usage, fondé sur la captation opportuniste de signes à forte valeur économique et symbolique. En vertu du principe fraus omnia corrumpit, la Cour prononce alors l’invalidité totale de la marque contestée, pour l’intégralité des produits et services visés, y compris ceux pour lesquels aucune atteinte à la renommée n’avait été démontrée.

Un arrêt de grande portée pour la pratique du droit des marques

L’arrêt du 29 octobre 2025 présente un intérêt majeur.

Il confirme que, même pour une marque mondialement célèbre comme Richard Mille, l’atteinte à la renommée ne s’apprécie pas de manière automatique : la démonstration d’un lien dans l’esprit du public demeure nécessaire.

Mais surtout, il rappelle la formidable puissance du fondement tiré de la fraude. Lorsqu’un déposant agit de mauvaise foi, sans intention réelle d’usage et dans une logique de captation parasitaire, la marque peut être déclarée invalide dans son intégralité, indépendamment de toute appréciation sur la renommée ou le risque de confusion.

Ce faisant, la Cour renforce la protection des titulaires de marques de luxe et de forte notoriété contre les dépôts abusifs, consolidant ainsi la défense de leurs actifs immatériels les plus précieux.

Vincent FAUCHOUX
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