La loi n°2023-451 du 9 juin 2023 visant à encadrer l'influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux a entendu responsabiliser « tous les intervenants, en incitant l'ensemble des personnes liées contractuellement au respect des règles relatives à l'activité d'influence commerciale, et à assurer une meilleure protection au tiers lésé qui pourra demander la réparation de son préjudice à la personne exerçant l'activité d'influence commerciale ou à l'annonceur, ce qui le protège contre le risque d'insolvabilité de l'un des coresponsables » (amendement n°153)1.
Pour cela, le législateur a posé une règle de responsabilité solidaire des cocontractants à l’article 8 III de la loi sur l’influence commerciale :
« L'annonceur, son mandataire le cas échéant, et la personne exerçant l'activité définie à l'article 1er [influence commerciale] et, le cas échéant, l'activité définie à l'article 7 [agent d'influenceurs] sont solidairement responsables des dommages causés aux tiers dans l'exécution du contrat d'influence commerciale qui les lie ».
Dans une étude récente2, dont on ne peut que recommander la lecture, les Professeurs Marie Malaurie-Vignal et Julie Traullé soulignent que cette responsabilité solidaire vise à réparer les « dommages causés aux tiers dans l'exécution du contrat d'influence commerciale qui (…) lie » les parties au contrat et leurs mandataires, ce qui exclut sa mise en jeu lorsque le dommage résulte d’une inexécution, lequel est renvoyé à la responsabilité extracontractuelle de l’article 1240 du Code civil.
Mais alors – s’interrogent les auteurs - quels sont la nature, le sens et la portée de cette responsabilité qui vise les « conséquences d’un fait a priori licite qu’est l’exécution d’un contrat ? »
Pour y répondre, les deux auteurs proposent trois approches de l’article 8 III de la loi sur l’influence commerciale.
Selon cette première approche, « l’influenceur, l’annonceur et leurs éventuels mandataires seraient responsables dès lors qu’un fait générateur de responsabilité peut leur être imputé » personnellement, soit parce qu’ils ont commis individuellement une faute soit parce qu’ils ont concouru à la même faute.
La responsabilité serait alors celle de « droit commun ou en application d’un régime spécial de responsabilité » : chacun n’étant alors responsable que pour autant que lui soit imputable une faute ou un fait générateur de responsabilité, chaque responsable étant alors tenu pour le tout vis-à-vis des tiers et le risque d’insolvabilité de l’un étant reporté sur les autres responsables.
Selon cette deuxième approche, avec l’article 8 III nous serions face à un nouveau cas de « responsabilité du fait d’autrui » dans lequel tous les cocontractants seraient systématiquement responsables « dès lors qu’une faute aurait été commise (…) sans que le cocontractant ait commis une faute ».
Autrement dit chaque cocontractant de l’opération d’influence commerciale serait responsable du dommage causé à un tiers dans l’exécution du contrat même en l’absence de faute ou de fait générateur de responsabilité lui étant imputable ce qui – soulignent les auteurs – « reviendra à obliger chacune des parties à contrôler étroitement l’autre » et à donner à la responsabilité son plein effet normatif de régulation des comportements.
Mais ce nouveau cas de responsabilité du fait d’autrui irait-il jusqu’à rendre responsables de plein droit les intervenants vis-à-vis des tiers ? Les auteurs semblent l’écarter dès lors que le législateur ne l’a prévu que dans le cas où l’influenceur se livre à une activité de dropshipping et vis-à-vis des seuls acheteurs.
L’article 8 III poserait en réalité une règle de responsabilité du fait d’autrui mais limitée aux seuls manquements à la loi du 9 juin 2023 sur l’influence commerciale.
Ainsi chacun des cocontractants serait responsable pour le tout du fait des seuls manquements à la loi du 9 juin 2023 à savoir, le défaut des mentions obligatoires et plus généralement de tout ce qui concerne la promotion des produits et des services.
Selon les deux auteurs « si l’influenceur publie un « post » qui ne respecte pas les obligations d’information et de transparence prévus par la loi du 9 juin 2023, par exemple parce qu’il n’indique pas expressément et de façon continue qu’il a été rémunéré pour ce faire, l’annonceur sera solidairement responsable. En revanche, l’influenceur ne saurait être tenu solidairement au titre de la garantie des vices cachés, d’un retard de livraison, ou encore d’un défaut de conformité. ».
Cette voie moyenne permettrait d’expliquer le sens de l’exigence d’un dommage « causé par l’exécution du contrat d’influence » lequel se comprendrait comme celui lié à la « promotion des produits ou des services » ce qui exclurait « les dommages liés à l’exécution du contrat – distinct – qu’est la vente ou la prestation de service ne sont pas visés par le texte nouveau ».
Espérons que les tribunaux se rangeront à cette voie moyenne. Dans l’immédiat citons l’exemple donné par Bercy dans le Guide de bonne conduite – Influence commerciale de décembre 2023 :
« 15.Qui sera civilement responsable en cas de préjudice causé à autrui dans le cadre de mon activité d’influence commerciale ?
(…) en utilisant une musique qui n’est pas libre de droit et sans autorisation, en dénigrant une personne ou une marque (cf. point 13) je peux causer un préjudice à un tiers. Dans un tel cas, vous, qui exercez l’activité d’influence commerciale, pouvez être déclaré responsable du préjudice ainsi causé. L’annonceur et, le cas échéant votre agent ou l’agence de l’annonceur, pourraient également être déclarés solidairement responsables du préjudice ainsi causé. »
En attendant les premières décisions, on ne peut qu’inviter les services juridiques et les professionnels du marketings et de la communication à être particulièrement vigilants dans leurs opérations d’influence commerciale.
1 Laurent Carrié, L'influenceur et son influence commerciale depuis la loi du 9 juin 2023, Légipresse 2023 p.459
2 Marie Malaurie-Vignal et Julie Traullé, Variations autour de la responsabilité solidaire de l’annonceur, de l’influenceur et de leurs mandataires, Contrats Concurrence Consommation n° 4, Avril 2024, étude 4