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Actualité
11/3/25

Intelligence artificielle et des droits d'auteur : la décision Invoke et « A Single Piece of Americain Cheese », une décision historique de l’U.S Copyright Office ?

Dans une décision du 30 janvier 2025, l’U.S. Copyright Office (USCO) a accordé l’enregistrement d’un copyright à la composition graphique digitale dénommée « A Single Piece of American Cheese » ; il s’agit d’une création produite grâce à une collaboration entre la créativité humaine et l'intelligence artificielle (IA), en utilisant spécifiquement la technologie de « retouche d'image » ou "Inpainting" de la société Invoke AI, Inc. Cette décision est une réelle avancée dans la reconnaissance juridique des créations assistées par l'IA, aux Etats Unis. 

A single piece of American Cheese, par Kent Keirsey, 2024

Invoke AI, Inc. et Kent Keirsey

La société de droit américain Invoke AI, Inc., dirigée par le CEO Kent Keirsey, un vétéran militaire et un entrepreneur chevronné, exploite une plateforme d’intelligence artificielle générative proposant aux entreprises de générer des créations digitales selon des modalités sécurisées, à partir de leurs propres contenus. Invoke AI est une société au premier plan de l'écosystème de l'IA artistique, qui défend le droit des créateurs à contrôler et à monétiser leurs œuvres. 

L'enregistrement par le Copyright Office de « A Single Piece of American Cheese » valide non seulement la technologie d'Invoke, mais renforce également sa réputation de pionnier dans la mise en place d’une IA Générative sécurisée, et soucieuse des droits de propriété intellectuelle de ses utilisateurs.

La question de la contribution humaine substantielle 

« A Single Piece of American Cheese » représente le visage d'une femme dans une mosaïque de couleurs éclatantes et fragmentées, inspirée des vitraux, et empreinte d'une touche mystique grâce à un troisième œil proéminent sur son front. L’originalité de cette création est accentuée par la représentation des cheveux coiffés comme des spaghettis, surmontés d'une tranche de fromage fondu. Des motifs complexes dans les tons bleus et violets enveloppent la figure, renforçant l'esthétique du vitrail et rehaussant l'essence surréaliste et ludique de l'œuvre. 

Pour générer cette œuvre Invoke a utilisé un modèle d'IA de modèle SDXL1 appelé CustomXL pour générer trois images initiales, en sélectionnant l'une d'entre elles pour la travailler ensuite. En utilisant une technique appelée « inpainting » (qui consiste à régénérer de manière sélective des parties d'une image tout en préservant le reste), Invoke a amélioré et modifié de manière itérative l'image choisie à 35 reprises. Ce processus a introduit des éléments distinctifs, tels qu'un troisième œil, du fromage en train de fondre, le haut du corps et même des organes internes, transformant progressivement l'image en sa composition finale surréaliste et fantaisiste.

Le rôle actif de Keirsey dans le processus de création a été déterminant dans sa demande de copyright. Invoke avait d'abord demandé un copyright pour « A Single Piece of American Cheese » en août 2024 et s'était vu opposer un refus, l’USCO ayant déclaré qu'il « manquait la paternité humaine nécessaire pour soutenir une demande de copyright ». Invoke a ensuite fourni d'autres preuves, notamment une vidéo en accéléré de la création de l'image et une explication de la manière dont Keirsey avait participé au processus de création. L’USCO a ensuite donné son approbation le 30 janvier 2025. Il semble que c’est l’abondance de preuve des interventions humaines fournit par Invoke qui a permis à cette œuvre d’être protégée par le copyright américain.

Extrait du rapport d’Invoke disponible à cette adresse

Rappelons pour mémoire que la décision rendue dans l'affaire Thaler c. Perlmutter (Tribunal de district des États-Unis pour le district de Columbia, 2023) avait établi que les réalisations entièrement générées par l'intelligence artificielle ne pouvaient être considérées comme des créations protégeables par la propriété intellectuelle. Cette position avait été réaffirmée par les guidelines de l’USCO du 29 janvier 2025, excluant de la protection du copyright les contenus ne présentant pas une contribution humaine suffisante.

Dans sa dernière décision, l’USCO s’est fondée sur le principe selon lequel la protection du droit d’auteur s’applique aux créations qui témoignent d’une "sélection, coordination et arrangement" résultant d’un apport créatif humain. En l’espèce, l’USCO semble décider que certes l’œuvre a été initialement générée par une IA de type SDXL mais ensuite l’artiste humain a utilisé la technique de inpainting, en sélectionnant les parties de l’œuvre à modifier puis en les modifiants substantiellement selon des éléments provenant de la volonté de l’artiste. Cette intervention humaine a été jugée suffisante pour satisfaire aux critères de créativité requis pour la reconnaissance d’un copyright.

Cette décision marque une distinction notable par rapport aux précédents refus d’enregistrement, notamment ceux concernant le célèbre « Théâtre d’Opéra Spatial » et « Zarya of the Dawn », où l’absence d’une contribution humaine significative avait conduit au rejet des demandes de protection. Il en était de même pour « A Recent Entrance to Paradise » (USCO Review Board, 2022), refusé pour manque de créativité humaine identifiable.

Théâtre D'opéra Spatial, l'œuvre générée en partie par une IA par Jason Allen

La jurisprudence « Rose Enigma » (2023) était également très restrictive, l’USCO ayant accordé une protection partielle aux éléments créés directement par l’artiste à la main, reconnaissant ainsi une implication humaine substantielle. Toutefois, les portions de l'œuvre générées par l’IA avaient été exclues de la protection au motif qu’elles ne résultaient pas d’un effort créatif humain autonome.

Rose Enigma croquis puis œuvre une fois modifiée par l’IA

La décision « A Single Piece of American Cheese » marque donc une réelle évolution de cette ligne jurisprudentielle, en reconnaissant que les outils d'IA peuvent servir d'instruments de création, sous réserve d'une supervision humaine démontrable. Il est donc désormais recommandé aux entreprises d'organiser méthodiquement la collecte de preuves tout au long du processus créatif, soit comme en l’espèce par l'enregistrement vidéo des étapes de réalisation de la création ou, plus simplement, par la sauvegarde des prompts et outputs qui peuvent être automatiquement tracés et horodatés par des outils digitaux tels que ceux proposés par la startup française BlockchainYourIP.

Cette question est d’autant plus cruciale aux États-Unis, où l'enregistrement auprès de l'U.S. Copyright Office (USCO) est une condition préalable obligatoire à toute action en justice pour violation de droits d’auteur, ainsi qu’à toute demande de dommages-intérêts fondée sur ces droits (17 U.S. Code § 412). Rappelons que ce régime américain se distingue nettement du système français, où le droit d’auteur naît automatiquement du seul fait de la création, sans formalité préalable de dépôt ou d'enregistrement, comme nous l’avons rappelé lors d’une récente conférence sur la création et l’IA dans le cadre de l’AI Summit du 11 février 2025.

  

Quels enjeux économiques ?

La décision de l'USCO pourrait avoir des conséquences économiques importantes. En affirmant la protection du droit d'auteur pour les œuvres assistées par l'IA générative avec une contribution humaine, elle pourrait stimuler l'investissement et l'innovation dans les industries créatives. Les artistes et les entreprises pourraient adopter de plus en plus d'outils d'IA, confiants dans le fait que leurs contributions seront protégées, ce qui pourrait élargir le marché de l'art numérique et des services connexes. 

Au-delà du monde de l'art digital, la décision pourrait avoir des répercussions dans le secteur de l'IA. Si la protection du droit d'auteur limite l'utilisation des résultats de l'IA comme données d'entraînement, les développeurs pourraient être confrontés à des coûts plus élevés ou à un accès restreint aux ressources, ce qui pourrait ralentir les progrès technologiques. À l'inverse, la décision pourrait inspirer de nouveaux modèles commerciaux, tels que des cadres de licence pour les contenus assistés/générés par l'IA, remodelant le paysage de la propriété intellectuelle à l'échelle mondiale.

Cette décision soulève donc autant de questions qu'elle n'apporte de réponses. Quelles sont les limites à la contribution de l’IA générative dans l’œuvre ? Comment les tribunaux définiront-ils la contribution humaine « suffisante » dans les futurs litiges ? Quel sera l'impact à long terme sur les marchés créatifs et le développement de l'IA ? 

Vincent FAUCHOUX / Benjamin KAHN
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