


La Cour d’appel de Paris vient de rendre une décision remarquable sur la protection de la voix comme attribut de la personnalité, dans une affaire opposant un journaliste et auteur connu du monde de la chanson française à l’artiste-interprète Grand Corps Malade, à sa société de production Anouche Productions, et à Universal Music France1.
En avril 2021, M. [I], auteur et journaliste, accorde une interview sur la webradio Arts-Mada au cours de laquelle il tient des propos polémiques sur l’apparence physique des artistes, regrettant la disparition des « beaux chanteurs ».
Quelques mois plus tard, Grand Corps Malade publie le titre « Des gens beaux », conçu comme une réponse artistique à ces propos. La chanson reprend, sans autorisation, 33 secondes de l’interview originale — la voix réelle de M. [I] — insérée à plusieurs moments du morceau et synchronisée dans le clip vidéo.
Estimant que sa voix avait été utilisée à des fins commerciales sans son consentement, M. [I] assigne Anouche Productions et Universal Music France devant le tribunal judiciaire de Paris, invoquant une atteinte à son droit à la voix, à ses droits d’auteur et à ses droits voisins.
Le tribunal, en mai 2023, le déboute de toutes ses demandes, estimant que la chanson relevait de la liberté d’expression artistique. M. [I] interjette appel.
Devant la Cour d’appel, les échanges portent sur un équilibre délicat entre deux droits de même valeur normative :
M. [I] soutient que sa voix, parfaitement identifiable, a été exploitée commercialement, détournée de son contexte initial et associée à une polémique achevée.
Les intimés rétorquent que la chanson constitue une œuvre de réponse à un débat d’intérêt général, inspirée des mouvements #MeToo et de la lutte contre le sexisme, et que la voix n’était pas reconnaissable du grand public.
La Cour d’appel de Paris adopte une position nuancée mais ferme :
Dès lors, la reprise de la voix sans autorisation dépasse les limites de la liberté d’expression et constitue une atteinte illicite au droit à la voix.
En revanche, la Cour confirme le rejet des demandes fondées sur le droit d’auteur : l’expression « des gens beaux » est jugée banale et dépourvue d’originalité.
De même, l’intéressé ne peut se prévaloir du statut d’artiste-interprète, sa prestation radiophonique n’étant pas assimilable à une interprétation d’œuvre.
La Cour d’appel :
Cette décision consacre une nouvelle illustration du droit à la voix comme prolongement du droit à l’image, limitant la liberté artistique lorsqu’elle détourne un attribut personnel sans autorisation, même pour une œuvre engagée.
Grand Corps Malade reste libre de chanter, mais pas… avec la voix des autres.
1 Cour d’appel de Paris, Pôle 5, 2e chambre, 17 octobre 2025, n° 23/11112

