Quel est le point commun entre Minnie, Winnie l’ourson et l’amant de Lady Chatterley ?
Ces trois œuvres publiés en 1928 (mais il y en a bien d’autres à commencer par la première version de Mickey Mouse) viennent de tomber dans le domaine public, après 95 années de protection.
Le vénérable New York Times y a consacré tout un article la semaine dernière :
« These classic characters are losing protection. Mickey Mouse and Peter Pan may never be the same »1,
s’enflammant même sur cette liberté retrouvée :
« It’s public domain ! Freedom ! Steal away ! ».
L’on découvre à l’occasion de ce contenu que notre Winnie est bientôt à l’affiche d’un film d’horreur « Winnie the Pooh : Blood and Honey » (tout un programme…) ou qu’une comédie musicale révèlera pourquoi Peter Pan ne souhaite pas grandir (Était-ce bien nécessaire ?). Les artistes interviewés dans cet article se réjouissent par avance des réinterprétations de tous ces célèbres personnages : « It’s an opportunity to reimagine some classics from new points of view ».
Sans jouer les rabat-joie, force est de constater que l’utilisation d’une œuvre récemment tombée dans le domaine public n’est jamais facile pour les exploitants.
Tout d’abord, il faut s’assurer que la création est bien arrivée à expiration de protection. La computation des délais est souvent un affreux casse-tête car l’œuvre peut être tombée dans le domaine public dans un pays mais point dans l’autre, faute d’harmonisation.
Il faut aussi compter aussi avec les prorogations de délai, les changement de législation, les co-auteurs dissimulés2 (qui vont modifier le temps de la protection).
Bref, les praticiens savent bien que la détermination des durées de protection n’a rien de simple. Ensuite nos journalistes du New York Times omettent d’évoquer des complications bien plus grandes. De quelle version de l’œuvre parle-t-on lorsque l’on parle de chute dans le domaine public ? De la version originale précisément.
Steamboat Willie et non le Mickey Mouse que nous connaissons aujourd’hui pour lequel le législateur américain n'a pas hésité de rajouter des années protection (sous l’influence d’un lobbying efficace de Walt Disney).
Les œuvres tombées dans le domaine public ont par ailleurs pu faire l’objet d’adaptations, de traductions que les exploitants seraient bien inspirés de ne pas ignorer.
Tout ceci sans évoquer le droit moral (il n’est pas certain qu’un Winnie l’ourson tueur psychopathe soit bien concevable dans un système de droit d’auteur continental). Enfin, le droit d’auteur n’est pas le seul droit qui puisse être mobilisé dans l’histoire. Il faut aussi compter avec les marques déposés sur les personnages ou le parasitisme économique qui protège les investissements effectués par un exploitant sur tel ou tel personnage.
En attendant celle de King Kong ou de Popeye, réjouissons-nous donc de la chute dans le domaine public de l’amant de Lady Chatterley. Tentons d’éviter, en revanche, cette création imaginée par le co-scénariste de « Retour vers le futur » : « Is Mickey the new lover or Lady Chatterley or is he only a voyeur ? ».
No Thanks, no Way.
Très bonne année à tous
1 Voir l’édition du 2 janvier 2024 (Sopan Deb)
2 Un livre pour enfant fait ainsi souvent l’objet d’illustrations protégées par un droit d’auteur.