Le débat actuel sur la protection des œuvres générées avec l’aide d’outils d’intelligence artificielle suscite des réactions parfois tranchées au sein du monde juridique. Certains y voient une rupture radicale avec les fondements du droit d’auteur, et s’interrogent sur la légitimité de telles œuvres à bénéficier d’une protection.
Mais cette opposition entre, d’un côté, une création dite « authentique », produite selon des méthodes traditionnelles, et, de l’autre, une création perçue comme dévalorisée car assistée par des outils technologiques, me semble à la fois réductrice et juridiquement infondée.
Le droit d’auteur n’a jamais protégé une technique. Il protège des formes d’expression originales, dès lors qu’elles sont le résultat de choix libres et créatifs émanant d’une personne physique. Ce critère, constant dans notre droit comme dans le droit européen (CJUE, Infopaq, BSA, Painer…), reste pleinement applicable à des œuvres créées avec le concours de systèmes d’intelligence artificielle, pourvu qu’un humain en ait guidé le processus, orienté le style, retenu un résultat final, bref : qu’il ait fait œuvre d’auteur.
L’usage de prompts, de réglages, de curations, ou même d’itérations successives dans un processus de génération automatisée peut tout à fait satisfaire à cette exigence, dès lors que ces interventions traduisent un apport personnel, libre et créatif. Ce n’est donc pas l’assistance technologique qui pose difficulté, mais l’absence ou non d’une contribution humaine significative.
Un exemple historique permet de mieux saisir cette réalité : Vera Molnár, figure pionnière de l’art algorithmique, a, dès les années 1960, conçu des œuvres à l’aide de règles logiques, de procédures numériques et de programmes informatiques rudimentaires. Loin de s’effacer derrière la machine, elle définissait elle-même les paramètres de création, choisissait les déformations, les variations, les accidents visuels. Son œuvre, aujourd’hui saluée dans les plus grandes institutions artistiques, est le fruit d’une démarche pleinement artistique et humaine. Elle mérite — et a toujours mérité — la protection du droit d’auteur.
De nombreux artistes contemporains prolongent aujourd’hui cette démarche, à l’instar de Refik Anadol ou Sougwen Chung, qui utilisent les potentialités des modèles d’IA comme autant d’outils de composition ou d’interprétation. Ces artistes ne sont pas des techniciens. Ce sont des auteurs. Et ils doivent être reconnus comme tels.
Il est par ailleurs regrettable que le débat juridique en France se concentre presque exclusivement sur les questions de données d’entraînement, de text and data mining ou de respect des droits antérieurs - des problématiques légitimes, bien entendu, mais qui ne devraient pas faire oublier l’impératif de penser également la protection des nouvelles formes de création nées de ces outils.
À trop vouloir dénoncer une supposée menace technologique, on passe parfois à côté des véritables enjeux culturels. Une vision trop manichéenne du sujet empêche de penser la continuité du droit d’auteur, son adaptabilité et sa vocation à embrasser la diversité des pratiques artistiques contemporaines.
Je formule donc ici une invitation, non à adopter une position idéologique, mais à revenir aux fondamentaux du droit d’auteur, et à appliquer sans préjugé les critères bien établis d’originalité et d’intervention humaine.
L’histoire du droit d’auteur nous a montré qu’il a su intégrer la photographie, le cinéma, le numérique ou encore la réalité virtuelle. Il lui faut aujourd’hui aborder l’intelligence artificielle avec la même ouverture, en veillant à protéger les formes nouvelles de création, dès lors qu’elles relèvent d’une véritable démarche d’auteur.