Les avatars se suivent et ne ressemblent pas.
La chanteuse FKA Twigs a ainsi créé son propre avatar généré par l’intelligence artificielle pour interagir avec ses fans. Consciente de la valeur qu’elle a créée, elle a défendu devant le Sénat américain le 30 avril dernier la propriété artistique sur son double généré par IA pour se prémunir de potentielles reproductions illicites réalisées par des internautes qui pourraient “s’approprier illégalement son identité et ses droits d’auteur… et réécrire à leur guise le fil de ma propre existence”, relate le Daily Telegraph1.
Dans un registre moins glamour, l'Ukraine a récemment annoncé l’arrivée d’une nouvelle porte-parole de son gouvernement qui ne sera ni un personnage politique, ni un journaliste chevronné mais… un avatar digital, chargé de dialoguer avec les journalistes grâce à l’assistance d'une intelligence artificielle. VictoriaShi sera ainsi chargée de gérer les demandes de renseignements et faire les déclarations publiques aux journalistes pendant les périodes de crise et les événements important afin de libérer du temps aux diplomates humains. Les textes de la nouvelle porte-parole ukrainienne seront toujours rédigés par des humains. Des QR Codes accompagneront les vidéos et permettront de vérifier l’authenticité de la diffusion et des propos tenus par l’avatar. Le physique de l’avatar a été conçu à partir de la chanteuse et influenceuse ukrainienne Rosalie Nombre qui a été "filmée et numérisée" pour l’occasion. Son nom quant à a lui évoque la victoire de l’#Ukraine ("Victoria") et la technologie utilisée ("Shi" signifie IA en ukrainien).
Artistique, politique, l’avatar peut aussi être commercial si l’on considère les « doubles » numériques qui se développent dans le domaine de l’influence. L’influenceuse la plus suivie du monde, pour ne donner qu’un seul exemple, est ainsi Lu do Magalu, la porte-parole du groupe brésilien de grande distribution Magalu qui possède 1477 magasins physiques Magazine Luiza. Depuis 2009, elle cumule 24 millions de followers à travers les différents réseaux sociaux où elle partage son mode de vie et ses coups de cœur. Ses vidéos YouTube d'unboxing, de conseils pratiques ou de gaming cumulent plus de 300 millions de vues, même si leur audience reste pour l’instant limitée au Brésil.
Précisons, car cela a son importance, que certains avatars présenteront une forme humaine, soit par clonage fidèle d'un humain existant, soit par création d'un humain purement fictionnel présentant toutes les caractéristiques physiques et psychologiques d'un être vivant. D'autres avatars seront de purs personnages de fiction, à l'instar de personnages de jeux vidéo et pourront, soit reprendre les caractéristiques reconnaissables d'un homme bien identifié (voir par exemple, l'avatar de Donald Trump dont il existe de nombreux exemplaires en circulation dans le monde digital) soit constituer de purs personnages fictionnels sans reprise des caractéristiques physiques d'un être humain. Des outils particulièrement performants de génération d’avatars tels que Musavir.ai sont aujourd’hui à disposition.
Pour chacune de ces situations, la protection juridique qu'il conviendra d'accorder à ces avatars pourra varier significativement.
Une protection juridique ? Mais quelle protection juridique ? Et pourquoi ?
Les avatars exposent le praticien à de très nombreuses questions. Des questions d’identité dans le droit civil si l’on conçoit un jour que cet avatar puisse participer à l’identification des personnes au même titre que le nom, le domicile, le sexe2…
Des questions d’usurpation également si l’on considère la toute récente loi SREN ayant introduit un article 226-8 dans le code pénal français afin de réprimer les deepfake pornographiques. Ici comme ailleurs, l’avatar peut conduire à des usages « maléfiques » comme « bénéfiques ».
Le mésusage peut être illustré par l’accusation formée par l’actrice américaine Scarlett Johansson en mai 2024 contre Open AI et son directeur général, Sam Altman, pour avoir volontairement, et à son insu, copié sa voix après son refus de participer à l’actuel système ChatGPT 4.0. En réponse, OpenAI a annoncé, lundi 20 mai, la suspension de « Sky », l’une des tonalités qui interagit vocalement avec les internautes dans ChatGPT, critiquée par la célèbre actrice. « Par respect pour Madame Johansson, nous avons suspendu l’utilisation de la voix de Sky dans nos produits. Nous nous excusons auprès de Mme Johansson pour ne pas avoir mieux communiqué », a expliqué Sam Altman, selon une déclaration transmise par courriel à l’Agence France-Presse par OpenAI.
L’avatar vecteur de responsabilité est aussi source de valeur si l’on considère la création qu’il représente. Deux versants que nous proposons d’envisager ici rapidement en distinguant droit de la propriété intellectuelle et droits de la personnalité3.
En France, l’avatar pourrait être protégé par droit d’auteur ou par le parasitisme économique.
Sur le terrain du droit d’auteur, l’avatar digital est en tous points assimilable au personnage de fiction. Il sera donc possible de protéger son apparence physique, ses traits mais également sa réputation ou ses valeurs4. Il sera plus difficile de protéger l’avatar qui reprend nos propres traits, faute précisément de choix créatifs. La représentation fidèle de la personne impose des choix contraints qui sont antinomiques de l’empreinte de la personnalité. Il conviendra de se tourner ici plutôt vers le droit à l’image.
Le parasitisme économique et la concurrence déloyale doivent également être considérés. Il existe en effet, pour l'opérateur économique qui développe un avatar avec des caractéristiques physiques et psychologiques constantes et parfaitement identifiées, un intérêt évident à protéger la valeur économique lié à ce nouvel objet digital.
Le droit français pourrait certainement protéger cette réalisation digitale par le biais du parasitisme puisqu'il pourrait être soutenu que l'avatar humanisé représente une valeur économique individualisée constituée à l'aide d'investissements, ce qui répond parfaitement aux critères de la protection du parasitisme en droit français5. Ainsi, tout entreprise tierce qui reprendrait sans nécessité cet avatar commettrait une faute engageant sa responsabilité délictuelle (article 1240 du Code civil français) et l'obligerait à réparer le préjudice causé ainsi au propriétaire de cet avatar.
L’avatar est, en droit français, susceptible d’être protégé par les droits de propriété intellectuelle mais également par les droits de la personnalité. Plus précisément la voix (voir dessus l’affaire Scarlett Johansson) et l’image. Nous ne présenterons que la question du droit à l’image. L’avatar digital qui est le double numérique de la personne expose le praticien à une redoutable question. Cet avatar est-il la personne elle-même ? Une autre entité ?
Sur cette question, il est intéressant de voir que la jurisprudence en matière de sosie est hésitante. Elle devrait donc amener un juge à se prononcer plus fermement sur cette difficulté. Une personne est-elle fondée à agir sur le fondement du droit à l’image lorsque la représentation litigieuse est celle d’un sosie ?
La jurisprudence ne l’a pas admis, à propos de l’utilisation d’un sosie de l’homme politique Jean-Marie Le Pen dans une émission de télévision en considérant que le demandeur « ne peut pas se plaindre de l’utilisation de l’image de son sosie, laquelle n’est précisément pas la sienne »6. Plus récemment le TGI de Paris a jugé dans le même sens le 27 février 2013 à propos de l’utilisation de l’image d’un jeune comédien proche du physique de l’acteur de cinéma Jean-Paul Rouve7. Il est vrai que même en présence d’une ressemblance frappante, l’image utilisée n’est pas celle de la personne, ce qui limite a priori les chances de succès d’une action fondée sur le droit à l‘image tel qu’il est classiquement défini. Pourtant, il faut admettre que l’utilisation d’un sosie n’est pas fortuite. C’est justement la ressemblance avec une personne notoire, voire la confusion, qui est recherchée : en regardant le sosie, le public identifie la personne. Dans ces conditions, il serait très regrettable d’écarter par principe toute possibilité d’action pour la personne, a fortiori si elle est célèbre, et la jurisprudence en offre quelques exemples dans le domaine publicitaire.
Ainsi, un tribunal a considéré que l’animateur de télévision Jean-Luc Delarue est « en droit de se plaindre de l’emprunt, auquel il n’a pas consenti, de son image, de son nom et de sa voix donnés à un sosie à la ressemblance frappante, censé le représenter dans une saynète fictionnelle détournée de l’actualité d’un fait divers »8. Dans le même esprit, la jurisprudence avait déjà sanctionné l’utilisation d’un sosie de l’acteur Gérard Depardieu dans une publicité pour une marque de chocolat en relevant le risque de confusion : « la ressemblance évidente est telle que tout spectateur français se trouve normalement conduit à croire reconnaitre Gérard Depardieu »9.
La jurisprudence n’est pas fixée mais précisément les utilisations non autorisées d’avatars ou de traits de la personne dans le cadre de constitution d’avatars devrait être l’occasion pour le juge d’aller dans un sens plus protecteur des droits des personnes sur leur image comme des droits des créateurs à l’origine de ces personnages digitaux. Considérer que le sosie ou l’avatar n’est pas la personne elle-même et qu’elle ne mérite pas en conséquence une protection est une position qui ne pourra plus être sérieusement soutenue par les tribunaux français, face à un nouveau phénomène digital qui devrait prendre une ampleur considérable dans les prochains mois. Une analyse comparative des jurisprudences dans différents pays du monde sera indispensable, en présence d’un mouvement mondial par essence, riche d’opportunités mais aussi de dangers.
1 J. Hall “How to survive in pop ? Create a Deepfake version of yourself” The Telegraph, 20 mai 2024.
2 J.-M. Bruguière et B. Gleize, « Droit des personnes » Lefebvre Dalloz 2023.
3 Bien d’autres questions pourraient être développées et notamment celles relatives aux données personnelles…
4 M. Vivant et J.-M. Bruguière « Droit d’auteur et droits voisins », Précis Dalloz 4° éd. & 209.
5 Sur la mise en valeur du nouveau parasitisme économique voir P. Deprez, V. Fauchoux, F. Dumont, J.M-. Bruguière « Le parasitisme économique. Typologie des agissements. Physionomie de l’action », LexisNexis 2023.
6 T. com. Paris, 9 mars 1998, JurisData n° 1998-109341 ; Dans le même sens, voir Paris, 6 juin 1984, D. 1985, IR 18, obs. R. Lindon.
7 TGI Paris, 27 févr. 2013, n° RG : 10/16148 : « Il doit être relevé, comme le soutiennent les défendeurs, aucune atteinte aux droits de la personnalité de Jean-Paul Rouve ne peut être caractérisée dès lors que ce n’est pas sa personne qui est reproduite dans le film publicitaire en cause, le personnage masculin étant interprété par le comédien Alban Casterman ».
8 TGI Nanterre, 23 mars 2007, Comm. com. électr.2007, comm. 75, obs. A. Lepage, D. 2007, pan. 2772, obs. L. Marino.
9 TGI Paris, 17 oct. 1984, D. 1985. IR 324, obs. R. Lindon. Il est vrai qu’en cas d’utilisation d’un sosie, l’intérêt à agir se situe souvent davantage sur le terrain de la défense de la notoriété que de la personnalité.