Le « droit mou » du droit d’auteur confronté à l’IA générative continue de se construire par petites touches, en particulier dans le secteur audiovisuel.
Le 31 août 2023, la SACD - qui gère les droits des auteurs de fiction, de cinéma et d’animation - avait déjà formulé 5 propositions pour « une intelligence artificielle éthique, responsable et respectueuse des droits des auteurs ».
Le 23 octobre 2024, la SACD et les représentants des producteurs d'œuvres audiovisuelles et cinématographiques (Procirep, AnimFrance, API, SATEV, SCFP, SPECT, SPI, UPC, USPA) ont adopté des recommandations visant à intégrer des clauses contractuelles afin de mieux encadrer l’utilisation de l’IAG dans les contrats auteurs / producteurs.
Ces recommandations reposent sur 5 idées clés présentées ci-après et appellent des commentaires (en italique).
On comprend entre les lignes que cette stipulation vise à éviter que l’auteur soit contraint par le producteur, d’utiliser une IAG ou de travailler à partir d’un texte ou d‘un élément généré par une IAG.
Ce point semble judicieux au regard des nombreuses incertitudes qui pèsent aujourd’hui sur les contenus produits par une IAG (originalité, titularité des droits, absence de réminiscences d’œuvres préexistantes) et qui pourraient affecter l’exploitation de l’œuvre audiovisuelle.
Cette clause est remarquable, dans la mesure où elle prend en compte l’économie de la production : il est ici admis que le producteur pourra utiliser les systèmes d’IAG dans le cadre de la production, de la promotion, et de l’exploitation de l’œuvre « notamment » dans l’élaboration de « versions étrangères » (traductions, sous-titrage et doublage). L’utilisation de l’IAG pour créer des documents permettant de présenter ou de vendre l’œuvre audiovisuelle, qui n’est pas encore produite représentent un atout important pour les producteurs ou les distributeurs ; de la même façon la possibilité de réaliser des traductions étrangères représente un coût important dans l’exploitation du programme.
Ces recommandations n’ont pas l’effet d’un accord contraignant, à l’instar de celui du 22 mars 2023 sur la rémunération des auteurs scénaristes et les producteurs de fiction étendu par arrêté du 28 avril 2023 ou de l’accord interprofessionnel du 15 septembre 2023 sur l’enveloppe minimale de rémunération des réalisateurs de fiction, étendu par arrêté du 13 octobre 2023. Ces clauses devront donc être intégrées dans les modèles de contrats qui seront conclus entre les auteurs et les producteurs. Plusieurs des contrats-types proposés sur le site de la SACD intègrent déjà ces 5 principes au sein d’une clause intitulée « intelligence artificielle générative».
Ces recommandations ont également donné l’occasion à la SACD et aux organisations de producteurs de rappeler une position de principe déjà exprimée à plusieurs reprises sur l’utilisation des données protégées par un droit de propriété intellectuelle pour l’entrainement des systèmes et l’opt-out (en vertu duquel l’auteur peut s’opposer au data mining de ses œuvres - L. 122-5-3 III CPI1).
La SACD avait ainsi indiqué sur son site :
« Pour information, la SACD délivre des autorisations aux diffuseurs audiovisuels au titre de l’utilisation des œuvres inscrites à son répertoire. Ces autorisations ne permettent pas à un diffuseur de reproduire et/ou utiliser les œuvres et/ou l’une de leurs composantes (texte, graphisme, réalisation…) ou adaptations, de quelque manière que ce soit, aux fins d’alimentation des technologies d’intelligence artificielle pour générer quelque création que ce soit ou, plus généralement, à des fins d’exploitation. Elles ne permettent pas non plus au diffuseur d’autoriser un tiers au contrat conclu avec la SACD à procéder aux opérations visées au présent paragraphe. Aucune utilisation d’une œuvre du répertoire de la SACD par une personne physique ou morale tierce, à des fins rappelées au paragraphe précédent, n’est autorisée sans l’accord préalable de ses auteurs ou de leur(s) représentant(s). En tant que de besoin il est expressément précisé que la SACD s’oppose, au titre des droits qu’elle gère sur les œuvres de son répertoire, à toutes opérations de fouille ou de moissonnage, conformément aux dispositions des articles L. 122-5-3 III et R. 122-28 du code de la propriété intellectuelle. TDM: NO »
Plusieurs des contrats-types proposés sur le site de la SACD intègrent déjà ce rappel au sein de la clause intitulée « intelligence artificielle générative» :
« Il est rappelé que toute utilisation de l’œuvre audiovisuelle (série ou unitaire, en ce compris l’œuvre cinématographique) et/ou de l’une ou l’autre de ses composantes protégées par le droit d’auteur (texte, graphisme, réalisation, etc.) à des fins d’entraînement, de développement et de fonctionnement d’un système d’intelligence artificielle générative (IAG) doit faire l’objet d’un accord entre les entreprises propriétaires de ces systèmes d’IAG et :
- le Producteur, notamment en sa qualité de cessionnaire des droits de l’Auteur, ou avec l’organisme de gestion collective auquel le Producteur a confié mandat à cet effet ;
- et la SACD, au titre des œuvres de son répertoire dont les auteurs lui ont confié la gestion. »
Il sera relevé que cette clause - qui impose une négociation entre d’une part les entreprises propriétaires d’un système d’IAG, et d’autre part le producteur et la SACD - fait peser sur le producteur - vis-à-vis de son cocontractant, l’auteur - une obligation contractuelle qui pourrait l’obliger à inviter la SACD dans toute négociation.
1 « Sans préjudice des dispositions du II, des copies ou reproductions numériques d'œuvres auxquelles il a été accédé de manière licite peuvent être réalisées en vue de fouilles de textes et de données menées à bien par toute personne, quelle que soit la finalité de la fouille, sauf si l'auteur s'y est opposé de manière appropriée, notamment par des procédés lisibles par machine pour les contenus mis à la disposition du public en ligne ».